et ce prestige s'attache à l'expression que nous avons choisie pour les
désigner. Ainsi, par les mots philosophie, politique, etc., nous désignons des
idées complexes ; et ces mots que nous avons l'habitude d'entendre prononcer, de
voir tracés sur le papier par l'écriture ou l'impression, se fixent assez
facilement dans la mémoire, à l'aide de ces voies physiques.
Comme on l'a bien observé, les mots nous ont considérablement aidés à étendre le
nombre de nos idées complexes et à agrandir nos facultés d'intelligence. Mais,
ne pouvant nous procurer presque aucun avantage qui ne soit accompagné
d'inconvéniens, il est résulté, à l'égard du sujet dont il s'agit, que la
plupart des hommes ne considérant que les mots employés, sans s'inquiéter
positivement des idées qu'ils doivent exprimer, chacun les interprète à sa
manière, selon ses lumières, son goût et ses penchans ; et ce moyen, si utile
dans un juste emploi, a ouvert une voie favorable pour abuser la multitude, pour
l'égarer, et pour l'asservir.
Je n'entrerai pas ici dans des détails nombreux, quoique nécessaires pour faire
connoître les différens ordres ou degrés de nos idées complexes. C'est une tâche
qui ne peut être entreprise que dans un ouvrage spécial. Je ne dirai rien non
plus des idées arbitraires qui appartiennent au champ de l'imagination, me
réservant d'exposer, à ce mot, ce qu'il y a d'essentiel à connoître à leur
égard. Il me suffit d'avoir montré ici la nature et la source de nos idées
complexes : je vais seulement dire un mot de ce qu'on nomme idées dominantes.
Idées dominantes. On donne ce nom à certaines idées particulières qui, sans
cesse provoquées par le sentiment intérieur de l'individu, sont presque
continuellement présentes à son esprit, dominent ses autres idées, et en
affoiblissent ou même en anéantissent l'influence.
Une idée est plus ou moins profondément gravée dans l'organe et plus ou moins
souvent présente à l'esprit, selon l'intérêt plus ou moins grand que l'objet qui
y a donné lieu nous inspire. De là résulte que toute idée qu'un grand intérêt
excite, ou qui est la suite d'un penchant accru et même changé en passion,
devient dominante, et efface en quelque sorte toutes les autres idées acquises,
étant presque la seule qui soit sans cesse rendue présente à l'esprit. Telle est
l'idée devenue dominante, dans l'amant, qui ne voit que l'objet de son amour ;
dans l'avare, qui ne pense sans cesse qu'à accroitre son trésor ; dans l'homme
cupide, qui ne considère dans toutes choses que le profit ou le gain ; dans
l'ambitieux, qui n'est jamais satisfait de son pouvoir, etc., etc.
Parmi les idées dominantes, il en est qui, soit toujours présentes à l'esprit,
soit d'une violence extrême, et qu'une
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