Home Quick search by word (titles and texts)
Documents sur les auditeurs de LamarckP.Corsi, "Lamarckians" and "Darwinians" in Turin, 1812-1894 (in french)
Page browser
|<  << Page : 15 >> >|
Selon Camerano, « Michele Lessona, évolutionniste convaincu, et partisan des 
théories lamarckiennes sur l'action du milieu ambiant et de la localité en tant 
que causes de la variété des espèces, accordait une grande importance à l'étude 
des animaux, même provenant de localités peu étendues, et à l'étude desdites 
faunes locales. » (31)
 

Dans les années précédant la publication de l'œuvre de Darwin, De Filippi, 
Ghiliani et Michele Lessona étaient parfaitement conscients du débat à l'échelle 
européenne que soulevait le problème des espèces, et chacun d'eux avait des 
solutions personnelles à proposer, sinon au public des lecteurs, du moins à ses 
collègues du Musée et de l'Université de Turin. On pourrait donc soutenir que la 
publication de l'Origine des espèces, en novembre 1859, n'a pas trouvé les 
naturalistes turinois tout à fait exempts d'une certaine préparation. Les 
événements politiques et militaires des années 1859-1860 contribuèrent 
probablement à faire passer au second plan le livre de leur collègue anglais. 
Dans les années 1862-1863, De Filippi et Lessona participèrent à une expédition 
scientifique en Perse, et c'est seulement en 1864 que De Filippi se décida à 
mettre le public italien au courant des conclusions auxquelles il était parvenu, 
quant aux implications anthropologiques de la doctrine darwinienne et de l'œuvre 
de Huxley sur la place de l'homme dans la nature.
 

Camerano observait, dans sa biographie de Michele Lessona, que, peut-être, ce 
fut le livre de Huxley, plus que celui de Darwin, qui « tourna l'attention des 
naturalistes italiens vers la théorie évolutive » (32). En effet, on ne peut 
expliquer le silence de Ghiliani, Lessona et De Filippi sur l'Origine des 
espèces par les seuls événements politiques du temps, ou par les travaux 
scientifiques qui occupaient les trois naturalistes en ces années-là. Si nous 
devons ajouter foi aux renseignements recueillis jusqu'ici, et nous n'avons 
aucune raison de ne pas le faire, alors il nous est possible de soutenir que, 
des trois naturalistes, seul De Filippi, en tant que bon catholique et partisan 
convaincu de la nécessité de concilier la science et la foi, ressentit l'urgence 
d'une confrontation avec l'œuvre de Darwin, qui offrait une théorie de 
l'évolution beaucoup plus complexe que celle que proposaient Lamarck, Etienne 
Geoffroy Saint-Hilaire et Bory de Saint-Vincent, auteurs bien connus du 
zoologiste italien. Les argumentations de son collègue anglais donnèrent à De 
Filippi la conviction que les limites des modifications des espèces étaient 
beaucoup plus vastes que ce qu'il en avait pensé, et que l'hypothèse de la 
descendance était nettement supérieure à celle de la « décomposition » des types 
primitifs. Le zoologiste italien reconnaissait donc que l'homme, tout comme les 
singes anthropoïdes, descendait probablement d'un ancêtre éteint ; mais il 
posait comme des affirmations la séparation absolue et la distance du Règne 
humain par rapport au Règne animal : « le doute philosophique, le sentiment 
moral, le religieux », faisaient de l'homme un être nettement distinct du reste 
du monde organique (33). 

© 2000-2006, CNRS-Centre Alexandre Koyré, histoire des sciences et des techniques, UMR 8560. Directeur de publication : Pietro Corsi - version du site : 4.5.1
CMS : ICEberg-DB v3.0, © 1999-2006, CNRS/CRHST-Stéphane Pouyllau.