« Lamarck avait porté un coup grave à la théorie de l'immutabilité des espèces ;
mais il n'avait pensé qu'à détruire et n'avait rien édifié c'est pourquoi la
gloire de donner à la science un système basé sur le raisonnement... était tout
entière réservée à Charles Darwin. » (35)
Dans la première édition des leçons du cours de zoologie, établie par Mario
Lessona, et publiée en 1877, et dans la deuxième édition de 1884, Lessona
modifiait sensiblement son jugement sur le rapport Lamarck-Darwin. Le
naturaliste anglais avait certainement apporté des arguments nouveaux et
importants en faveur de la doctrine de l'évolution ; toutefois, c'est à Lamarck
que revenait le mérite d'avoir posé les bases et d'avoir formulé les premiers
concepts-clé de la théorie de la transformation des espèces. Lessona discutait
en détail le principe de l'usage et du non-usage des parties, et la doctrine de
l'hérédité des caractères acquis ; le zoologiste citait les exemples, bien
connus, de Lamarck sur l'adaptation progressive des oiseaux des marécages et des
girafes dans leur milieu ambiant naturel. En ce qui concernait l'œuvre de
Darwin, Lessona reconnaissait que l'Origine des espèces avait apporté de
nouveaux arguments à l'appui de l'évolution, et il expliquait, en termes très
succincts et assez imprécis, le concept de sélection naturelle. Pour illustrer
les théories de Darwin, le professeur offrait des exemples pour le moins
susceptibles de jeter dans l'erreur :
« Supposons que deux arbres d'une même espèce croissent, l'un isolé dans un
espace ouvert, et l'autre dans une forêt ; le premier, libre de s'étendre, aura
au bout d'un certain temps des ramifications élargies, et sera relativement peu
élevé. Chez le second, au contraire, contraint de pousser dans un espace limité,
et de chercher la lumière et l'air vers le haut, la hauteur prédominera au
détriment de l'expansion des branches. Une telle condition se poursuivant durant
un certain nombre de générations, en vertu de l'hérédité des caractères, on aura
deux formes différentes. » (36)
Autrement dit, les thématiques darwiniennes étaient traduites en termes
classiques d'adaptation des formes de vie au milieu ambiant dans lequel elles
vivaient. Les difficultés croissantes de la théorie darwinienne, surtout en ce
qui concernait la formation des variations et l'hérédité des caractères acquis,
et la diffusion des théories de Weismann et de l'école néo-darwinienne,
achevèrent de rapprocher Lessona du « lamarckisme » de fond de l'école
turinoise. Comme le rappelait Camerano :
« Dans ces dernières années, on peut dire que Lessona, qui avait conservé toute
sa vie les enseignements reçus de son père, tirés de l'école de Bonelli et de
Lamarck, retournait à eux avec une conviction accrue (...). En un mot, l'on peut
considérer Michele Lessona dans les dernières années de sa vie comme un
néo-lamarckien, au sens de Lanessan, Yung, Plateau, Giard, etc. » (37)
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