En 1810, au cours d'une de ses missions destinées à réorganiser l'enseignement
supérieur dans les territoires soumis à l'influence française, Georges Cuvier
garda une impression favorable des connaissances scientifiques de Franco Andrea
Bonelli, jeune entomologiste qui avait été désigné, par l'Académie des Sciences
de Turin, pour succéder à son maître, Giorna, en tant que membre de l'assemblée
scientifique. Cuvier invita Bonelli à Paris afin de compléter et de mettre à
jour sa préparation scientifique au Muséum. Le jeune entomologiste fut
particulièrement influencé et de façon durable, par son séjour dans la capitale
française ; plusieurs semaines après son arrivée à Paris, il écrivait à son
frère en ces termes :
« La visite au Musée, que Cuvier m'a fait effectuer dans son ensemble, et que
j'examinerai minutieusement, m'a offert un tel spectacle qu'il mérite bien que
l'on fasse trois cents lieues pour l'aller voir. Les prévenances dont firent
preuve à mon égard Cuvier, Lamarck et Geoffroy, ainsi que tous les assistants
naturalistes, furent pour beaucoup dans l'affection dont je me pris pour ces
lieux. (...) Aujourd'hui, j'ai rendu visite à M. Lamarck, qui, ayant découvert
que je suis partisan de plusieurs de ses idées, s'est particulièrement pris
d'affection pour moi, m'instruit en beaucoup de choses, et m'accorde de grandes
facilités pour étudier les animaux invertébrés » (3).
Bonelli revint en 1811, pour occuper la chaire de zoologie de l'Université de
Turin, obtenue grâce aux bons offices de Cuvier. Les manuscrits bonelliens
conservés à la bibliothèque du Museo Zoologico, ainsi que ceux qui furent
déposés à l'institution turinoise par le fils du naturaliste, à la fin du XIXe
siècle - et publiés pour la plupart par Camerano-, permettent d'établir de
quelle manière Bonelli adhéra aux idées de Lamarck et quelles sont les limites
de cette adhésion. L'entomologiste piémontais adoptait une des thèses
fondamentales de la Philosophie Zoologique et de l'enseignement de son collègue
français, concernant le « mouvement et marche de la nature vivante » :
« La nature tend à se modifier par deux motifs et deux marches différentes ;
l'une est indépendante, l'active, l'autre est soumise aux circonstances, c'est
la passive. L'indépendante est celle par laquelle elle tend naturellement à se
développer, à se perfectionner. L'autre marche est celle que les êtres tiennent
en mettant leurs fonctions, et par conséquent leur organisation, en rapport avec
les circonstances environnantes. (...) C'est par cette tendance que dans les
animaux, quelquefois [dans] le plan suivant lequel s'est perfectionnée leur
organisation, se développent des parties, que s'en effacent d'autres, que des
accidents infinis se déclarent sur leur corps et nous servent de base pour
fonder la distinction des espèces » (4).
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