Sonnini ressentait une animosité particulière envers Cuvier, le petit maître
d'école qui prenait sa badine de professeur pour un sceptre royal. Le public
cultivé, déclara non sans provocation Sonnini, était plus fin que cela et
saurait faire la différence entre la nouveauté et les valeurs sûres. Sur un
point au moins Sonnini avait raison. Son édition de Buffon se vendit vite et
bien. Très rapidement, il la rebaptisa « Cours complet d'Histoire naturelle »,
augmentant ainsi les ventes. Le projet fut lui aussi promptement exécuté. Cent
vingt sept volumes parurent entre 1798 et 1808, et cent avant 1805 (7).
Virey, protégé de Parmentier, s'avéra être un allié solide. Il avait rapidement
assimilé les écrits de Buffon, Bernardin de Saint-Pierre, Charles Bonnet et
Lacepède. Il imita leur style et produisit une prose insupportablement pompeuse,
regorgeant de points d'exclamations et de déclarations enflammées sur la beauté
de la nature. Mais, l'aspect intéressant de son attitude intellectuelle apparaît
déjà à travers les efforts qu'il déploie pour concilier anciennes et nouvelles
idées. Virey accueillit favorablement la nouvelle chimie de Lavoisier et la
nouvelle anatomie comparative de Cuvier dont il cita et approuva les premiers
écrits. Il pensait par ailleurs que les nouveaux naturalistes réduisaient
l'étude de l'histoire naturelle à une froide énumération de noms et de
descriptions, et n'était pas prêt à accepter l'invitation de Cuvier à adopter un
« style sévère ». Le but de l'histoire naturelle était-la connaissance et
l'instruction morale. Sans cette dernière, l'exercice devenait vide de sens
(8).
En plusieurs occasions, Virey proposa une définition claire des espèces, très
proche de celle de Buffon, dont le Professeur Sloan nous a parlé lors de
l'importante intervention qu'il a faite dans ce colloque. Dans l'Histoire
Naturelle du Genre Humain (1800) Virey déclarait :
« L'espèce est immortelle, elle est contemporaine de tous les âges. Les corps
qui la composent disparaissent tour à tour comme des ombres légères, des
simulacres passagers » (9).
Dans le Discours sur l'Origine des Animaux et des Plantes du Nouveau Continent,
il faisait également remarquer :
(7) SONNINI DE MANONCOURT, éd., Histoire naturelle, générale et particulière....
F. Dufart, Paris, 1798-1808. Voir en particulier les notes de Sonnini aux
volumes lxv, 1802, pp. viii-lv, vol. ix, 1799, p. 373. Voir aussi P. CORSI,
Models and Analogies for the Reform of Natural History. Features of the French
Debate, dans Lazzaro Spallanzani e la biologia del Settecento, G. MONTALENTI e
P. ROSSI ; Leo S. Olschki Editore, Firenze, 1983, 381-396.
(8) J.J. VIREY, Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle, Naturaliste, vol. xv,
1804, pp. 354-355 ; Histoire naturelle du genre humain, F. Dufart, Paris, an IX
(1800), 11-14.
(9) J.J. VIREY, Histoire naturelle du genre humain, F. Dufart, Paris, an IX
(1800), p. 53.
|