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Documents sur les auditeurs de LamarckP.Corsi, Julien-Joseph Virey, the first critic of Lamarck (in french)
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« Les variations produites par l'action des températures, des climats et des 
nourritures diverses sont d'ordinaire peu profondes. Des nuances plus ou moins 
vives, une grandeur plus ou moins considérable, des poils plus ou moins 
nombreux... voilà la principale différence, mais ces variations ne sont pas 
constantes ; elles s'effacent et disparaissent avec l'individu, s'éteignent dans 
la source de sa vie, ne se transmettent pas par sa génération. Filles de 
circonstances, elles naissent et meurent avec elles » (10).
 

Virey ne niait pas que des modifications puissent survenir : « La face de notre 
monde éprouve de continuelles vicissitudes », admet-il. Les modifications se 
produisaient toutefois par degrés, conséquence « d'une progression insensible 
d'une longue série de siècles dont la marche lente permet aux êtres organisés 
d'en suivre aisément la course » (11).
 

Comment concilier le passage que nous venons de citer avec le précédent, dans 
lequel Virey déclare que les modifications produites par les climats n'affectent 
que les individus et non les espèces ? Virey voit en la Nature un principe actif 
dont l'action dépend directement d'une juridiction divine. Dans le processus de 
création des êtres animés, la Nature agit par l'intermédiaire d'un principe 
vital, intelligent, une anima au sens que Van Helmont prête au terme. C'est à la 
Nature, en dernière analyse, qu'incombe la charge de l'adaptation aux 
changements de l'environnement. La force ou le principe vital garantit une 
adaptation parfaite, constante et providentiellement ordonnée. Comme il l'écrit 
dans l'Histoire Naturelle du Genre Humain, « chaque conformation ingénieuse est 
spécialement adaptée à des fonctions particulières » (12).
 

Le fait qu'il y ait adaptation et causes finales était un témoignage magistral 
de l'intérêt providentiel que Dieu portait à ses créatures. Les philosophes 
avaient à certaines époques exagéré le rôle des causes finales, et avaient 
cherché à confirmer leur réalité au sein de spéculations métaphysiques. L'étude 
de la nature donnait des preuves, bien moins contradictoires de l'existence du 
dessein providentiel, de l'adaptation et des causes finales. Les notes et 
additions de Virey à l'édition de Buffon par Sonnini abondent en exemples 
montrant la richesse de l'ornithologie en cas d'adaptation parfaite. Virey prit 
plusieurs exemples dans les travaux de Levaillant et Daudin, deux ornithologues 
très connus qui, à la fin du XVIIIe siècle, ont produit des travaux couronnés de 
succès sur la taxinomie des oiseaux. Ces deux auteurs ont essayé, avec beaucoup 
de sérieux, d'appuyer à nouveau leur argumentation sur le dessein et les causes 
finales, dans leurs travaux évaluant la relation existant entre les oiseaux et 
leur environnement naturel. Virey ajouta des exemples nouveaux et intéressants à 
ceux fournis par ses auteurs de référence, comme :
 

« Une singularité remarquable dans le sens du goût des oiseaux, et surtout des 
espèces aquatiques, qui fouillent dans la vase avec des longs becs, c'est qu'un 
rameau de nerfs de la cinquième paire s'épanouit dans la matière cornée et 
tendineuse qui revêt le bord de ces becs et y distribue le sentiment du goût. Ne 
fallait-il pas en effet que ces animaux puissent trouver leur proie dans l'eau 
trouble et bourbeuse sans le secours des yeux ? » (13). 

(10) J.J. VIREY, Discours sur l'origine des animaux et des plantes du Nouveau 
Continent, Magasin Encyclopédique, IVe année, Tome III, an VII (1798), pp. 
433-458.
 

(11) Ibidem, p. 435.

(12) J.J. VIREY, Histoire naturelle du genre humain, cf. note 7, 20-21.

(13) Ibidem, pp. 21-22. Sur Levaillant et Daudin, et sur le succès de leurs 
ouvrages dans les dernières années du XVIIIe et les premières du XIXe siècle, 
voir Oltre il mito, cité à la note 2. La citation de Virey est tirée de 
l'édition des œuvres de Buffon par SONNINI, citée à la note 7, vol. XXXVII, 
Histoire des oiseaux, an IX (1800), p. 127. 

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