« Lorsque les créatures vivantes se multiplièrent sur le globe terrestre, elles
furent organisées relativement à leurs habitudes par la suprême intelligence :
car comment un animal aquatique aurait-il pu vivre dans les airs ou sur la
terre, sans avoir reçu une conformation capable de s'y maintenir et de s'y
reproduire ? En créant des êtres pour toutes les régions de cet univers, la
Providence suprême a donc développé les organes qui leur étaient les plus
favorables et a modifié leur vie de telle manière, qu'ils préfèrent leur état à
tous les autres » (20).
A la fin de ce passage, Virey semble hésiter, et introduit une affirmation,
l'une des nombreuses affirmations qui jalonnent son travail, qui semble contre
dire ses déclarations précédentes : la citation reproduite précédemment se
termine de la sorte : « Il paraît même que certains milieux sont plus propres
que les autres au développement de certaines parties » (21).
Une analyse serrée de ce texte révèle la mesure dans laquelle Virey est en
désaccord avec les idées de Lamarck concernant la manière dont s'élabore le
processus d'adaptation, et permettra d'expliquer ce qui semble être une
contradiction. Virey cite à longueur de temps les exemples ornithologiques de
Lamarck, et insiste sur le fait que :
« Ce n'est donc point la plante, l'animal qui donnent lieu à leur conformation
par leurs habitudes, puisque ces habitudes sont déterminées par leur
configuration organique. En effet, l'oiseau ne pouvant se donner l'habitude de
s'élever dans les airs, s'il n'avait pas reçu les ailes » (22).
A ce point, il est parfaitement clair que c'est la nature, le principe vital, la
force vitale, l'intelligence suprême et même, comme Virey était prêt à
l'accepter, certaines circonstances physiques particulières qui permettent la
création d'organes : en aucun cas la matière, qu'elle soit inorganique ou
organique, ne pouvait détenir un pouvoir d'auto-détermination. Les conséquences
du maintien de cette dernière thèse furent clairement énoncée par Virey :
« Certainement je serais athée quand on me prouvera, clair et net, que la
matière peut d'elle-même organiser des yeux, un cerveau pensant, des parties de
la génération, et perpétuer constamment les mêmes êtres » (23).
Virey était prêt à accepter nombre des suggestions antérieures de Lamarck. La
thèse de la génération spontanée, même le développement historique d'un arbre
taxinomique, pouvait être adaptée au schème de la providence. Mais absolument
pas l'idée qu'il existe des pouvoirs auto-évolutifs dans la nature, en regard
des conclusions dramatiques auxquelles elle pouvait mener.
(20) Ibidem, p. 409.
(21) Ibidem, p. 409.
(22) Ibidem, pp. 411-412. Virey reproduit les fameux passages des Recherches sur
l'organisation des corps vivants dans lesquelles Lamarck donna des exemples
d'adaptation des oiseaux aux changements de milieux. Les exemples parurent pour
la première fois dans le Discours d'ouverture de l'an VIII (1800).
(23) Ibidem, 411-412.
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