Dans ses éloges, ainsi que dans les Rapports sur l'état de la science au tout
début du XIXe siècle, Cuvier fait un exposé aussi partial que bien accueilli des
questions qui semblèrent, à ses contemporains, cruciales pour l'histoire
naturelle. Si nous suivons Cuvier, l'école buffonnienne n'a pas survécu à la
mort de son fondateur en 1788, Lamarck était un personnage totalement isolé et
discrédité, malgré le respect dont il était entouré en tant que taxinomiste des
invertébrés. Lacepède également était isolé, perdu dans les chimères de son
imagination, Virey n'était qu'un personnage très secondaire, Jean-Claude
Delamétherie n'existait pas, pas plus que Sonnini de Manoncourt, Patrin, Poiret,
et beaucoup d'autres naturalistes qui n'avaient pas obtenu de postes dans les
institutions scientifiques officielles, mais qui avaient gagné l'attention et
l'affection d'une grande partie des lecteurs d'ouvrages biologiques.
Paradoxalement, Lamarck lui-même fit de son mieux pour créditer la
reconstruction des événements par Cuvier. Il tait le fait qu'autour des années
1800 il n'était pas le seul, et en effet il avait été le dernier d'un groupe de
naturalistes qui défendit la thèse de la génération spontanée, et celle du
transformisme, ou du moins une interprétation quasi transformiste de l'histoire
de la vie sur terre. Lamarck a insisté sur son isolement, et s'est amèrement
plaint du traitement dont il fut l'objet de la part de ses pairs. J'ai mentionné
ailleurs l'intérêt que plusieurs de ses contemporains ont porté au travail de
Lamarck, ils ont discuté ses idées, et dans un cas au moins -je pense à
Delamétherie- l'ont même incité à abandonner ses premières idées sur le principe
vital, lui conseillant de s'orienter vers une interprétation matérialiste,
physique, de la vie et de ses processus (2).
Nous ressituerons par conséquent notre étude de la critique de Lamarck par
Virey, et du rôle de ce dernier dans les débats naturalistes du début du XIXe
siècle dans le contexte plus large des polémiques et des luttes de pouvoir qui
ont occupé le devant de la scène française et plus particulièrement parisienne.
Comme nous le verrons bientôt, l'analyse des travaux de Virey et de ses
activités d'éditions apportera des éléments au regard desquels il sera possible
de corriger la traditionnelle genèse de l'histoire naturelle et des disciplines
de la biologie, telle qu'elle a été établie par Cuvier et Lamarck, au cours de
l'une des périodes les plus intéressantes qu'ait connu la science moderne.
Nous ouvrirons cet essai sur la carrière et les idées de Virey par quelques
informations sur sa vie. Nous ne disposons sur lui que d'informations très
lacunaires : né en 1775, il entra dans la carrière militaire avec le grade
d'aide pharmacien au Val-de-Grâce, où il occupa le poste de pharmacien en chef
de 1804 à 1813. Contraint de démissionner, il s'inscrivit en 1814 à la Faculté
de Médecine. Il fut un membre actif de la
(2) J'ai discuté ces questions en détail dans mon Oltre il mito. Lamarck e le
scienze naturali del suo tempo, Il Mulino, Bologna 1983. Une traduction en
langue anglaise de ce volume va paraître à l'University of California Press.
Voir aussi Giulio BARSANTI, Dalla storia naturale alla storia della natura.
Saggio su Lamarck, Feltrinelli, Milano, 1979.
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