ouvrait la perspective d'une histoire parallèle de la vie, expliquée en termes
parfaitement naturalistes (16).
Virey était un jeune homme enthousiaste : il avait beaucoup d'idées, peut-être
pas toujours très claires, mais il avait aussi de solides principes. Il n'était
pas décidé à rejeter les nouvelles théories, établies par ses éminents aînés,
mais il n'était pas non plus prêt à les accepter telles qu'elles étaient
présentées. Seul un compromis était viable, avec des limites toutefois fort
restreintes. Beaucoup d'éléments de ces nouvelles théories étaient adaptables et
intégrables à ses premières idées. D'autres lui étaient intolérables, en
particulier la certitude de Lamarck que les espèces n'avaient nul besoin d'un
principe vital, ou d'un pouvoir décisionnel surnaturel pour évoluer.
Virey rédigea lui-même tous les articles clefs du Nouveau Dictionnaire : le «
discours préliminaire », les articles « animal », « nature », « création », «
instinct », « intelligence », « monstre », « dégénération » -étudié par notre
collègue et ami Claude Bénichou- et beaucoup d'autres.
Les efforts qu'il déploya pour parvenir à un compromis sont évidents, même s'ils
pêchent parfois par manque de perspicacité et de clarté. Il serait impossible de
faire un résumé critique du mélange complexe des théories auxquelles Virey eut
recours pour formuler sa propre doctrine. Il suffit de dire que sa tentative de
synthèse puisa des éléments chez tous les historiens de la Terre, importants ou
secondaires -de Buffon à Delamétherie et Bertrand. En outre, comme nous le
verrons un peu plus loin, les Recherches sur l'organisation des corps vivants
publiées en 1802 par Lamarck furent son principal ouvrage de référence.
La réponse au problème posé par la génération spontanée ne lui pose pas de
difficulté majeure :
« Il faut que la terre ait formé les germes, ou qu'ils aient été apportés
d'ailleurs sur le globe. Nous ne parlons point ici de la création de ces germes
par la main de l'Etre Suprême, car elle ne peut pas être contestée dans tous les
cas. En effet, soit que la terre, l'air, l'eau ou les cieux... aient produit ces
germes, leur organisation si sublime et si parfaite ne peut être que le résultat
d'une puissance tout à fait intelligente et divine. L'eau exposée à une douce
température fourmille bientôt d'une multitude d'animalcules visibles au
microscope ;... ces germes infinis et invisibles qui sont répandus par toute la
terre, ne sont que des particules de matière empruntées d'une force vivifiante,
laquelle émane de la vie propre au globe terrestre... Elles ont, pour ainsi
dire, une existence particulière ; elles renferment dans un petit espace plus de
cet esprit de vie ; de là vient que ces germes sont susceptibles d'organisation
et capables de perpétuer leur durée par la reproduction, au moyen de la chaleur,
de l'humidité et d'autres circonstances favorables... Ces facultés que Dieu a
données à cette matière se sont exaltées et modifiées ensuite selon les
circonstances » (17).
(16) P. CORSI, Oltre il mito, cité à la note 2.
(17) J.J. VIREY, Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle, Nature, vol. xv,
1804, pp. 358-414, citations pp. 378-379.
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